Notre nouveau bulletin comportera désormais une section « Tour d’horizon en six questions ». Six questions touchant un thème seront posées à un expert en la matière.
Pour le premier « Tour d’horizon », j’ai interrogé le docteur Michel Vézina, professeur à l’Université Laval et expert conseil en santé mentale au travail à l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ). Il a également agi à titre de chercheur responsable de l’enquête québécoise sur les conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST)1. Je l’ai questionné sur un thème dont on entend souvent parler… le présentéisme.
Qu’est-ce que le présentéisme?
Le présentéisme est un « phénomène par lequel les travailleurs sont présents à leur poste, même s’ils ont des symptômes ou une maladie qui devraient les amener à se reposer et à s’absenter du travail »2. Selon monsieur Vézina, il faut toutefois distinguer le présentéisme de la démotivation. Le présentéisme est lié à un problème de santé qui cause une baisse de productivité et d’implication dans le travail. « Le lien avec la santé est important », dit-il. Il ne s’agit donc pas d’un simple désengagement du travailleur.
Comment reconnaître que l’on fait du présentéisme?
« Plus de la moitié de la population visée par l’enquête a fait du présentéisme dans les 12 mois précédant l’enquête EQCOTESST, soit 54% ». Il ne s’agit donc pas d’un phénomène isolé.
Les symptômes suivants peuvent vous aider à reconnaître que votre état de santé n’est pas optimal et nuit à votre rendement au travail :
- Perte de concentration, de mémoire et d’attention (oublis, erreurs)
- Diminution du rythme de travail
- Sentiment de fatigue intense au travail
- Problèmes de ponctualité
- Relations difficiles avec les collègues, irritabilité
- Isolement
- Diminution de la qualité des services
Pourquoi fait-on du présentéisme?
Le présentéisme peut s’expliquer par une conduite responsable, chez des gens qui se sentent indispensables au travail et qui sont très impliqués. Or, les cimetières sont remplis de gens indispensables, souligne monsieur Vézina. Il utilise d’ailleurs le terme présentéisme par conscience professionnelle pour illustrer ce type de comportement. Par exemple, les travailleurs se présentent au travail malgré qu’ils soient malades, pour pouvoir respecter des dates d’échéance ou pour éviter de surcharger leurs collègues. Il ajoute que cette forme de présentéisme est une conduite responsable, oui, mais potentiellement dommageable. « Le présentéisme n’est pas sans conséquence sur la santé. C’est comme faire marcher une machine qui est défectueuse… Elle va s’endommager plus rapidement ».
D’autre part, la peur de représailles peut également être pointée du doigt. « Si vous n’êtes pas remplacé, le travail va s’accumuler. Vous préférez peut-être alors faire le travail à moitié…Au moins, vous en faites un peu et la pile s’accumule moins que si vous vous absentiez! ». Ces représailles peuvent également provenir du milieu de travail ou être en lien avec des conditions de travail précaires. Monsieur Vézina parle alors de présentéisme obligé. « Les gens sont placés dans des conditions organisationnelles difficiles et ils peuvent craindre que leur contrat ne soit pas renouvelé s’ils ne se présentent pas au travail lorsqu’ils sont malades, de ne pas être payés pour cette journée perdue ou d’être jugés par leurs pairs ».
Quels en sont les impacts?
La baisse de productivité, et la perte financière qui en découle constituent un des impacts majeurs du présentéisme au plan organisationnel. « La littérature démontre que le présentéisme coûte minimalement de deux à trois fois plus cher que l’absentéisme. Certaines études font même état de 10 fois plus! Cependant, il ne faut pas voir le présentéisme seulement comme un indicateur de productivité. Il y a des gens en santé qui sont désinvestis et ce n’est pas du présentéisme! ». D’autre part, monsieur Vézina fait état de conséquences sur le climat de travail. Par exemple, vous pourriez être davantage irritable et les rapports avec votre entourage au travail pourraient en souffrir. De plus, votre baisse de productivité pourrait créer une surcharge de travail pour vos collègues.
Il faut voir le présentéisme comme un indicateur de santé important. « Il est signe qu’il y a potentiellement des conditions néfastes pour la santé dans le milieu de travail. Par exemple, la littérature démontre que les gens qui font du présentéisme ont deux fois plus d’événements coronariens sérieux3. ».
Au Québec, est-ce que nos organisations mesurent le présentéisme? Si oui, comment et qu’est-ce qu’elles font pour le contrer?
« Au Québec, très peu d’organisations mesurent le présentéisme, car cela est difficile à faire. Cela coûte cher et il faut par la suite savoir quoi faire avec les résultats. Est-ce que les organisations sont prêtes à modifier l’organisation du travail ? ». De plus, il existe, selon monsieur Vézina, une forme de déni et de normalisation du problème. « Le comportement de présentéisme peut être interprété par les organisations comme une démonstration d’appartenance à l’organisation et ainsi être valorisé. Également, il faut tenir compte du fait que les études sur le sujet sont relativement récentes. » Actuellement, un des indicateurs de santé le plus utilisé est le taux d’absence. Cependant, ce n’est pas parce que ce taux est bas, que les travailleurs sont nécessairement en santé et productifs.
« Tout programme de réduction de l’absentéisme au travail doit être envisagé en fonction de l’impact sur le présentéisme ». Il n’est pas préférable que les gens soient au travail s’ils sont malades, car cela nuit directement à leur santé et à celle de l’organisation. En fait, il ne s’agit pas seulement de gérer l’absence ou le présentéisme, mais plutôt de favoriser la santé des travailleurs au sens large. « Il faut que la santé devienne un incontournable dans les décisions corporatives. Le présentéisme n’est pas l’animal à traquer…C’est plutôt un indicateur que la santé des gens est impactée ». Plus une organisation est préoccupée par la santé du personnel, meilleure est la prévention des causes potentielles du présentéisme lié aux contraintes organisationnelles.
Si je fais du présentéisme, qu’est-ce que je peux faire?
Il faut d’abord reconnaître que l’on ne va pas bien et en parler. Le soutien socio-affectif est primordial. Monsieur Vézina recommande de parler de son état à ses collègues et à son gestionnaire. « De toute façon, les gens voient bien que vous n’êtes pas dans votre assiette. Il est important de pouvoir se confier librement. Les gens ont besoin de l’approbation des autres pour s’absenter. Ils attendent une sorte d’autorisation implicite qui justifie l’absence. Il n’y a pas que le billet du médecin qui fait foi de tout ».
Parler de son état permet également à l’employeur de se questionner et d’agir sur ce qui peut causer la perte de la santé lorsque le travail en est à l’origine. « Si le problème est relié au travail, il faut agir sur ces causes. »
Les interventions individuelles peuvent aussi être pertinentes, telles que le PAE, le psychologue et le médecin. « Cependant, lorsque l’organisation du travail est en cause, il faut aller au-delà de l’approche individuelle pour régler le problème à la source ».
* Les opinions exprimées dans les articles n’engagent que leur auteur(e) et ne reflètent pas nécessairement celles des représentants de l’APSSAP.
- Cette enquête publiée en septembre 2011 et mandatée par le ministère du Travail du Québec trace un portrait de l’évolution des conditions de travail et d’emploi et leurs influences sur la santé et sécurité du travail au Québec. L’EQCOTESST est disponible sur le site de l’IRSST.
- Aronsson et al., 2000, cité dans EQCOTESST
- Kivimäki, M., Head, J., Ferrie, J.E., Hemingway, H., Shipley, M.J., Vahtera, J. et Marmot, M.G., «Working while ill as a risk factor for serious coronary events: The Whitehall II study », American Journal of Public Health, vol.95, p.98-102, 2005, cité dans l’EQCOTESST (2011).